Costals

elles viennent quand elles veulent

J'ai rencontré l’œuvre de Montherlant en 2017, en trouvant une édition du premier volume des Jeunes filles datant de 1957. C'était dans une boutique Caritas. Je m'y étais rendu pour acheter des raquettes de ping-pong. J'y ai découvert un de mes héros. Et un héro, c'est notre Soi idéalisé. On pourrait dire qu'il nous montre notre chemin, ou l'un de nos chemins.

L'odeur de ce livre ! Le renifler me calme.

De ma vie je n'ai rencontré personne qui m'ait parlé de Montherlant. J'ai été frappé par sa lucidité, par la fluidité de son écriture, par l'humour, le rythme. C'est un de ces auteurs passé aux oubliettes dont les livres mériteraient d'être lus encore aujourd'hui, et toujours.

C'est pour cette raison que je partage sur ce blog des extraits de son oeuvre.

Le démon du bien, Henry de Montherlant (pages 178-180) :

Dans le vaste monde des vivants, les bêtes et les êtres de jeunesse étaient les seuls vivants auxquels Costals ne voulût jamais de mal, auxquels même il voulût toujours du bien. […] La raison de cette bienveillance était sans doute dans leur gentillesse et dans leur grâce; elle était aussi en ce fait, qu'ils étaient le comble du naturel : comment s'irriter d'eux, puisqu'ils ne prétendent pas? Un homme et une femme « faits » prétendent, et, prétendant, ils sont neuf fois sur dix au-dessous de ce qu'ils devraient être : de là qu'ils irritent à bon droit quiconque n'a pas renoncé à se faire du genre humain une idée un peu haute. Mais on ne peut haïr, on ne peut mépriser ni l'enfant ni la bête, parce qu'on ne peut jamais dire qu'ils sont au-dessous de ce qu'ils devraient être : ils échappent miraculeusement.

[…]

Quand le chat rose mit sa tête dans le cou de Solange, Costals remarqua qu'elle avait un petit frisson. Elle dit que son odeur était l'odeur de vanille qu'ont les chats, lorsqu'ils sont jeunes, sains, et bien débarbouillés. Et son sens du chat était démontré par la conversation qu'elle soutenait avec lui. À toute phrase qu'elle lui disait, il miaulait. Qu'elle se tût, et parlât à nouveau, à nouveau il répondait. Qu'était cela, sinon la parole?

– J'ai toujours été ainsi avec les bêtes : une grande sœur pour eux. Petite, je ne faisais aucune différence entre elles et les hommes. Je disais à mon frère: « Si tu tapotes comme ça contre l'aquarium, tu vas faire pleurer les poissons. » Je prétendais que le cheval n'aime pas sa figure, et que c'est pourquoi il trouble du sabot l'eau où il va boire, afin de n'y pas voir son reflet. A Toulon, où nous eûmes une villa pendant quelque temps, les jours de sirocco me mettaient dans le même état électrique où ils mettaient les bêtes, qui devenaient un peu folles. J'avais besoin de courir, j'entraînais Gaston pour qu'il coure avec moi...

– Depuis longtemps j'ai perçu le côté animal qu'il y a en vous, à votre façon de fixer la flamme quand on nous fait flamber une omelette au rhum, ou à votre accent pour parler de vos chattes, dont, soit dit en passant, je ne sais pas encore les noms...

– Elles n'en ont pas.

– Pas de noms? Alors comment faites-vous pour les appeler?

– Je ne les appelle pas. Elles viennent quand elles veulent. Mot sublime, pensa Costals.

Voilà le gage de ma liberté future, si je l'épouse, ce qui est bien possible. Et la chose la plus difficile à obtenir des gens, même de vos amis, c'est qu'ils vous laissent votre liberté. Je « viendrai quand je voudrai ».

Seul des quatre, le chat bleu quêtait en grossier de la nourriture; les autres, sans doute, étaient là dans le même but, mais ils le voilaient admirablement (et quel temps mettait le chat bleu pour savoir s'il avait envie de ce que Costals lui offrait, ou non!).

Quand Costals lui présenta un peu de moutarde sur le bout du doigt, son regard de déception, d'irritation, de blâme, et aussi de prétention : Monsieur se croyait! Monsieur se sentait offensé! Mais quand il lui offrit, ensuite, une pelure d'orange, c'en fut trop :

Monsieur s'enfuit d'un trait. Maintenant il boudait, assis à trois pas de la, table, regardant de l'autre côté lorsqu'on lui faisait pss.., comme un bourgeois lorsqu'un pauvre se rapproche, et bâillant. Quant au chat mauve, grimpé sur la table, il buvait Solange des yeux, ouvrant de temps en temps sa gueule, avec un miaulement tout virtuel (on n'entendait rien) : il avait l'air, à la fois, d'un phoque et d'un ourson. Elle dit :

– Comme le silence des bêtes est plus émouvant que le verbiage des hommes!

– Oui, mais le silence de l'homme est plus émouvant que le silence de la bête.

#french #livres #montherlant